Le bien paraître des mots
On ne dit pas la même chose, ni de la même manière, dans les cours d'usine, les enceintes d'un conseil d'administration, à la radio, à la télévision, dans un stade ou sur la couche de ses amours nocturnes. Dans chaque cas, sémantique, débit, intonation, gestuelle, mimique, orchestration des mots, hiérarchie des thèmes sont assez différents.
Il est impérieux de communiquer de manière "brève, active et isolée", pour citer Gaston Bachelard. La haute complexité des faits à présenter à une opinion rend inéluctable une telle nécessité.
Lorsqu'il est bref et visible, le geste tend à remplacer l'explication. Cette pantomime est impérieuse dans l'audio-visuel.
La réalité de certains appareils sociaux « parle si fort», qu'il est inutile d'entendre ce qu'ils disent.
Les actions de communication sont les faux cils de l'entreprise.
Lorsque dirigeants et syndicats décident d'échanger leurs informations, des pas de géants sont accomplis. Un des écueils tient, cependant, aux différences de vocabulaire des uns et des autres. Il reste encore trop de mots de guerre pour exprimer des volontés mutuelles de dialogue.
Il faut être détenteur d'une légitimité pour discourir auprès d'un public. Sinon se taire.
Façonner le message qui déclenchera une réaction à l'unisson de l'opinion est l'exercice de communication le plus difficile à réussir.
Prendre la parole est un devoir de chef et non un droit régalien.
La parole doit être violente et subtile pour traverser le brouillard de l'indifférence, les filtres médiatiques et les bandeaux de l'opinion.
L'ennui de ce qui est évident et le partial de ce qui leur est proposé, expliquent le fréquent désintérêt des journalistes pour ce que l'on tente de leur faire dire.
Le tout est de ne pas perdre la face, quitte à dire n'importe quoi. La «nouveauté» se prête, heureusement, à tous les artifices verbaux, par absence de références.
Au risque de ne pas être compris, on pourrait pressentir que la course à la notoriété pourrait être gagnée par la lenteur et le silence.
Place de la Concorde, aux heures de forte influence, on a peine à imaginer l'énergie du trompettiste pour être entendu. Le plus pénible étant qu'en dessous d'un seuil minimum, il s'époumone en pure perte. La communication de masse c'est un peu la même chose.
Si tout a été dit sur les mots écrits, il reste beaucoup à écrire sur les mots dits.
Les leaders devraient le savoir. Les médias imposent une simplification des informations qu'ils traitent. Leur proposer un message entraîne, de facto, l'acceptation d'une réduction / déformation des éléments qui le constituent. Pourtant, peu de chefs acceptent d'être « moins-disant».
En matière de communication de masse, la tendance persistante est de nommer les choses plutôt que de les décrire.
Que faire entre une écriture vieillissante et des images en rodage ?
L'opinion est sensible aux chatoiements des mots, même fendillés. Journalistes et conseillers devraient être moins prudes avec le langage et l'utiliser davantage dans ses rythmes et phonèmes attractifs.
Il faut redire sans cesse les choses pour accélérer l'apprentissage et freiner l'oubli.
Bis répetita placent. Devise des rhéteurs contemporains.
La précipitation est dans l'air des mots.
Hausser le ton, rabaisse.
Le bruit ne fait pas de bien. Le bien ne fait pas de bruit.
Les mots qui font peur arrivent à contraindre, rarement à convaincre.
Il est indécent de se montrer avec des ampoules aux mots.
Approcher un nouveau langage conduit à être maladroit mais lucide quant à ses défauts. Etre étranger, c'est être inquisiteur.
Chaque fois que des héros produisent l'inverse de ce que l'on attend d'eux, cela fait penser au danseur étoile qui se gratte le dos pendant son triple salto.
La parole se prend et se garde. Par ailleurs, plus le verbe est simplificateur, mieux cela marche. Les esprits sanguins et sectaires ont, par là-même, une prédisposition pour les tribunes.
Pour communiquer, avoir constamment à l'esprit que l'on ne s'entend bien que sur des malentendus.
Pour un leader, écouter sans interrompre les autres, reste contre nature.
Lu ici ou là : « La mise en forme de l'information devrait être une mise en garde sur ses effets».
L'efficacité maximum d'un discours est atteinte lorsqu'au milieu de sa pseudo impartialité, fusent des mots assassins.
Etre prédicateur médiatique, c'est accepter d'être foudroyé par ses propres propos.
Séduire les médias est le préalable à une séduction de l'opinion. Selon les strictes lois du commerce, le postulant se demandera, alors, s'il est un produit standard ou un produit d'appel.
Les hommes de presse sont là pour « raconter des histoires ». C'est la loi du genre. Bien saisir, le sens polymorphe de ce constat au moment de leur livrer son pécule d'information.
Informer ne signifie en rien que tout le champ du descriptible ait été pris en compte.
La vitesse de traitement des médias conduit les messages qu'ils véhiculent à contenir davantage de « culturèmes » que d'unités culturelles solides et stables. Le « culturème » serait, ainsi, la nouvelle mesure d'étalonnage de ce qu'il est « bon de savoir» en ville sur n'importe quel sujet et à n'importe quel moment.
Quoiqu'ils en disent, certains leaders bien installés dans leur rôle, reniflent avec délice la tendance des grands médias à entretenir artificiellement des antagonismes sommaires. Cette caractéristique évite de distribuer des informations élaborées et gratifie à l'occasion des puissants chatouillis du charisme médiatique.
Quand le feu de l'actualité faiblit, la presse se fait pyromane puis sapeur-pompier.
L'absence de raisonnement qui caractérise les comportements de communication de masse conduit d'exubérances en anomies.
Raisonnement et dialectique ne peuvent avoir leur place dans la communication de masse. Tout comme le passage de l'argile à l'état de brique, la chauffe des circuits de communication conduit maints mots à se figer.
Le principe d'une doctrine, qu'elle soit économique, politique ou culturelle, est de ne tolérer aucun écart. Sa diffusion orale, par les médias, pose problèmes en raison des fortes déperditions de ce mode de transmission. Tant mieux. Cela favorise les courants d'air propices à la régénération des dogmes.
L'information contient une part aléatoire et se dégrade. Un message permanent devrait inspirer la défiance.
La perfection ne s'atteint que dans les actions de détail. C'est sans doute la raison pour laquelle les esprits rangés sont mal à l'aise pour gérer une grande action de communication. Il s'agit en effet de manier un processus instable en forte déperdition dont les sources précaires et aléatoires ricochent les unes sur les autres dans l'espace et le temps.
Une information parfaite est impensable. La première qui surgira changera la face du monde en y introduisant une vérité catalysant toutes les autres.
Finalement, les choses sont à leur place. Au nom de quoi les gros médias auraient-ils pour finalité de transmettre de « grandes idées » ? Ces vecteurs sont des ustensiles pour distraire le plus grand nombre. Non pour discourir sur le profond et le pointu.
Les messages d'actualité drainés par les mass médias ont une durée de vie de l'ordre de deux ou trois jours ...
Il n'y a guère que les opéras de Wagner pour être similaires aux commentaires radios télévisés d'une finale de football.
Le pouvoir des hommes repose tout autant sur l'information qu'ils délivrent que sur les secrets qu'ils détiennent.
Maudits soient les mots dits, pense celui dont le pouvoir vient des décrets. Or c'est la parole qui fait bouger les choses. A l'écrit de les consolider. Ambiguïté d'une société dont l'organisation repose sur les tables de la loi... Le mépris craintif de certains dirigeants pour la chose dite fait penser, a contrario, à l'extrême réserve des grecs cultivés lors de l'arrivée de l'écriture.
L'information et la réglementation sont les deux catalyseurs du corpus social.
Les messages politiques sont un patchwork entre songes enfantins et mensonges des adultes.
A défaut d'un combat de grande allure, il reste aux leaders modernes les petites phrases et les sous-entendus. C'est l'unique fenêtre épique désormais tolérée.
Pour soulever une opinion, la vulgarité paie. Etre délicat, c'est perdre.
Pour ouvrir un champ de communication et remporter l'adhésion du public, le rire est efficace. La pyrotechnie et la musique provoquent des effets similaires. Rire collectif, feux d'artifices et musiques entraînantes, sont la trinité du miracle promotionnel.
Les politiques français manquent de bons slogans mobilisateurs. A leur décharge, la langue française, par sa rigueur, n'autorise guère d'exploit en la matière.
Le plus beau titre de presse pour le plus grand événement médiatique du XXème siècle, fut celui du New York Times le jour des premiers pas de l'homme sur la lune : "A man on moon".
« It aun't mind a thing, if it aun't got a swing ». Louis Amstrong est l'auteur de ce message aux accents toniques chaloupant à quatre temps. A faire pâlir de jalousie les créatifs en quête d'un bon slogan.
Le traitement de la presse est en deçà de la réalité quand elle rapporte un événement terrible. Le tri s'effectue toujours dans le sens du confort et de l'anodin. Ainsi, les corps déchiquetés n'ont pas leur place dans l'iconographie consommable. La mort oui, mais la mort propre. Cette autocensure des moyens de la communication est louable quand le respect de la sensibilité de l'opinion en est à l'origine. Elle l'est beaucoup moins quand elle s'aligne sur une idéologie de la «propreté» permettant, par derrière, toutes les saletés.
Quand les médias font dans la fiction, ils excellent dans l'exhibition du sang, de l'horreur et des violences.
Aristote avait bien compris les fondements de la valeur d'une information. II les situait entre deux pôles extrêmes. D'une part, le para ten doxan correspondant à ce qui est trop éloigné de l'opinion commune, trop impertinent, trop équivoque. Et le kata ten eikos, contraire du précédent, c'est-à-dire l'univoque, le pertinent, le pondéré.
Dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale, la « nouveauté excessive» émerge presque toujours à l'extrême gauche. Au fil du temps, cette nouveauté devient, souvent, un fait de "bon sens", repris par le centre. Elle finit comme une évidence conservatrice de la droite.
Contraints de faire au mieux pour mettre en valeur des faits insignifiants de l'actualité quotidienne, les journalistes s'en sortent par un usage soutenu du terme paradoxal, suivi de leur maigre moisson. C'est la rançon à payer aux événements pauvres. Les grands paradoxes, eux, font silence car générant des informations mortes nées, par le seul fait qu'elles dévoileraient l'inacceptable.
Quatre approches sont mises en évidence pour apprécier la forme optimum à donner à des messages dont un leader voudrait dominer les effets. A- Le message apodictique qui consiste à tirer des conclusions par syllogismes à partir de prémisses indiscutables fondés sur des principes premiers. B- Le message dialectique qui consiste (à partir de prémisses probables à l'égard desquelles il y a eu au moins deux conclusions possibles) à proposer un raisonnement s'efforçant de définir le plus acceptable. C- Le message réthorique, semblable au précédent, mais dont l'objectif est davantage d'obtenir de l'opinion une adhésion rationnelle qu'un accord émotionnel. D- Enfin, le message persuasif désormais la plus usité dans les systèmes contemporains de communication. Perelman le présente ainsi: « l'aire assignée aux messages traditionnels fondés sur l'autorité indiscutable de la déduction s'est de plus en plus réduite; aujourd'hui, on tend à proposer des arguments non indiscutables et à pousser les interlocuteurs vers un certains type de consentement obtenu à partir d'éléments émotionnels et de raisons pratiques plutôt que sur la base d'une autorité « raison absolue».
Pour convaincre de la validité d'un message en l'absence de toute démonstration, la radio et la télévision offrent un avantage certain : l'impossibilité, pour l'opinion, de mettre en pause et de prendre du recul.
Gardienne de l'orthodoxie sociale, la presse « nettoie » les impuretés des informations conventionnelles qu'elle véhicule.
La crainte dominante du leader en voyage médiatique se fixe sur sa non maîtrise du destin des mots qu'il émet. L' étiolement de son discours dans les filtres des vecteurs de communication n'est pas encore son pire effroi. Ce serait plutôt l'enflure incontrôlable de ses propos dont chaque partie peut se développer de manière anarchique. Les mots des hommes constituant le seul langage à double articulation avec celui du code génétique, il peuvent au cours de leur migration dans le tissu social subir une auto mutation. Alors apparaissent les métastases de l'information.
Les hommes devraient instaurer entre eux un nouveau langage commun. Il serait aussi simple que le code de la route. A chaque signe, un seul sens. La clarté des échanges y gagnerait.
Sont dangereux pour le dialogue, certains esprits aboyant leurs points de vue pour pousser au silence leurs interlocuteurs.
L'impertinence bien maniée est le seul contre argument pour s'attaquer aux verbes empêchant de dialoguer, du fait de leur seul prestige.
La parole manque de grâce dans l'hyper correction.
La violence verbale est la force des roquets et la faiblesse des forts.
Aucune illusion à avoir. Communiquer revient notamment à empêcher les autres de parler.
Une communication qui s'emballe cache, souvent, une action qui s'essouffle.
Créer un événement, c'est faire scandale auprès d'assoupis.
En matière d'actualité, il est vivement recommandé d'être fulgurant d'un mot à l'autre.
La panne d'idées est le risque permanent des fusées de l'imaginaire.
Le langage public est le panache de l'homme social craignant une solitude sans spectateurs.
Il y a un air de familiarité entre les signes astrologiques et ceux de l'actualité médiatique. Les uns comme l'autre, se conforment à des cycles.
L'information est un fluide engendrant des effets plus magiques que l'apposition des mains à Lourdes ou plus actifs que les vibrations atomiques. Ce n est pas seulement l'apparence qui est atteinte. C'est l'homme du dedans qui s'allume ou s'éteint.
« Nos adversaires politiques sont des coquins et des incapables. Nous les battrons ». « La jeune fille cessa de sourire et les oiseaux se remirent à chanter» Entre ces deux affirmations, il est dommage que les préférences s'agglutinent plutôt sur la première.
L'élément qui déclenche une communication n'est pas le message, le média ou des interlocuteurs prêts à communiquer. En fait, sans commutateur, le courant ne passe pas. Les stratèges de la communication l'oublient trop souvent.